Souviens toi, tu étais un enfant.
Vraiment, un enfant ?! Après la naissance, et la peur, qu'y avait il ?
Souviens toi bon sang !
Je ne me souviens ni de mon père, ni de ma mère, ni de quiconque en fait. J'ai beau faire des efforts, je ne me souviens que d'images à peine ébauches, un monde peuplé de présences mal définies.
Ah si ! Je me souviens ! Je machouillais la queue de mon Pluto, mon chien en plastique. Je me souviens de la texture, du goût dans ma bouche. Ni agréable, ni désagréable, un goût de plastique gomme machouillé, tout simplement. Et un vague sentiment de culpabilité, à mutiler mon cher Pluto. Comment peut on mutiler ce que l'on aime ?!
Comment ?
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Mes dents.
Mais Oui biens sûr, mes dents, ça me faisait du bien aux dents, ou plus exactement aux gencives, c'était ma première sensation de contentement finalement . Se faire du bien, basique ment, en triturant la queue d'un chien en plastique, appendice élastique qui se raccourcissait de jours en jours, de mois en mois. Je l'aimais ce chien, c'était mon fidèle compagnon, pratique quoi ! C'est vrai finalement ! Mon premier contact avec le monde des sensations: goût, toucher, vague sentiment de possession. C'est vraiment étrange que le premier souvenir serein qui me vienne à l'esprit soit le plaisir de mordre un animal en plastique, et rien d'autre. Dire que je me rappelle d'autre chose serait mentir.
Sa tête pouvait tourner, au niveau du collier il me semble, et au niveau ses pattes. Quoique, je ne sais plus.
Pas de câlins, ni d'embrassades. Rien, nada. Le néant affectif, comme si je n'avais eu aucune famille autour de moi. Il y avait bien eu cette présence rassurante, lors de cette nuit effrayante ou le ciel s'embrasait, mais hormis cela.
Pas d'autre jouet si ce n'est Donald mon canard à roulettes que je traînais au bout d'une corde.
Je n'ai que peu de souvenirs de mes premières années de petit garçon avançant tant bien que mal sur des jambes trop courtes, à moins que cela ne soit qu'un banal problème de coordination et non d'un soucis de longueur de mes membres inférieurs. C'est idiot quand même, ce sol qui est trop loin, stupide sol inerte, comme s'il ne pouvait pas faire l'effort de venir à moi, et non l'inverse!
La marche du bipède à station verticale, petit bout de chou aux boucles blondes.
Les boucles blondes, ça c'est grâce aux photos du vieil album, autrement j'aurais bien été incapable de vous parler de la couleur de mes cheveux.
Mince !! Mais si, une boucle blonde, coupée et conservée par ma maman ! Je m'en souviens maintenant, mais c'était bien plus tard. Une vraie preuve de mon apparence, et à bien y réfléchir, la seule physique en fait. Car une photo, ce n'est finalement qu'un bout de papier, le reflet d'un enfant aplati dans un album, rien de plus.
Qui me prouve que j'étais cet enfant crêpe ? Heureusement que je me souviens de mes machouillements et de la vision de ma boucle blonde, conservée telle une sainte relique ! Ainsi que cette sensation de marche saccadée.
Louées soient ma boucle et mes gencives ! Louées soient mes petites jambes.
Ma jeune existence ne tient décidément qu'à peu de choses.